A l’occasion de la sortie du nouveau spin-off Star Wars, Le livre de Boba Fett, je vous propose un article et une vidéo sur la composition du thème du Mandalorien par le compositeur suédois Ludwig Göransson.
Göransson est devenu en quelques années un des compositeurs les plus demandés à Hollywood. Il a reçu un Oscar pour la musique de Black Panther, après avoir travaillé sur Creed, la série Community, mais aussi le label Roc Nation de Jay Z. On lui doit récemment la BO de Tenet de Nolan, pour laquelle il a fourni une œuvre assez expérimentale, influencée par la musique industrielle. Ce succès provient essentiellement de sa capacité à collaborer avec d’autres artistes et à mélanger les genres musicaux: c’est un jazzman accompli, diplômé du Collège Royal de musique de Stockholm, un passionné de musique africaine, il aime le métal, le hip-hop, il est devenu un orchestrateur accompli, après avoir parfait ses armes comme assistant de Theodore Shapiro.
Sa notoriété a explosé depuis qu’il travaille pour Disney. Comme avec John Williams, la musique retrouve ici un rôle prépondérant dans le succès d’une production Star Wars et nous allons essayer de comprendre quels sont les ingrédients de ce succès.
1. Filiation et modernité, tu allieras
Göransson a parfaitement synthétisé ce qui a fait le succès de John Williams : associer des thèmes récurrents aux personnages, des mélodies simples et mémorisables pour le grand public, des rythmiques épiques où les cuivres font jeu égal avec les cordes. Des leitmotivs donc, de la tension, des contrastes, des apogées dramatiques, bref, une verve très wagnérienne, une musique d’opéra. D’ailleurs, Star Wars est ce qu’on appelle un « Space Opera » dans le jargon de la SF.
John Williams lui-même doit beaucoup aux compositeurs de l’âge d’or classique d’Hollywood, celui des années 30 à 50, avec le style néo-romantique incarné par Korngold, lui-même influencé par Stravinsky. John Williams à son époque avait respecté cette filiation pour proposer un cocktail personnel, une approche pop de ce néo-romantisme hollywoodien, dans le sens où il en a gardé la moelle lyrique pour l’adapter au goût du public le plus large possible. Les compositeurs néo-romantiques étaient animés par les prouesses harmoniques de leurs œuvres, ils se voyaient avant tout comme des compositeurs de musique classique. John Williams, au côté d’autres compositeurs comme Ennio Morricone, John Barry ou Jerry Goldsmith, a construit les bases ce qu’on identifie aujourd’hui comme la musique de blockbuster. Pour moi, Goransson adopte lui aussi cette posture aujourd’hui : il reprend le format wagnérien de Williams mais l’adapte au goût du public actuel en allant piocher dans des textures électroniques, rock ou ethniques.
2. Une musique globalisée, tu composeras
Ce qui nous amène au deuxième ingrédient de ce succès : l’éclectisme de Göransson. Il repart de zéro à chaque projet et pioche dans le patchwork d’une culture musicale mondialisée. Sa musique est moderne parce qu’elle est métissée, hybride, fluide et libre de toute étiquette. Si on regarde un billboard de musique actuelle aujourd’hui, c’est qu’on y voit : du rap qui s’édulcore avec des formats pop ou des instruments de musique classique, des rockeux qui troquent leur batterie contre une 808, de l’électro qui s’inspire des rythmes des caraïbes… Bref, les hits font la part belle aux mélanges de styles. Göransson avait collaboré avec le rappeur A$AP Rocky pour la BO de Creed, le musicien africain Baaba Mal pour Black Panther.
C’est aussi le talent de Jon Favreau, le producteur de la série, qui a compris la valeur d’une véritable prise de risque en demandant à son compositeur de partir dans de nouvelles directions. S’il est seul aux commandes du Mandalorien, Göransson a gardé cette posture de caméléon. Dans une interview, Il dit avoir cherché à comprendre les influences de John Williams avant la première trilogie : la BO du film Earthquake (1974) l’aurait grandement inspiré. On y retrouve les mélodies de cuivres, l’utilisation d’une base rythmique batterie/basse, associée à un orchestre symphonique. John Williams était donc déjà à son époque un compositeur qui aimait réaliser des mariages de genres musicaux différents et il serait erroné de le considérer comme un compositeur ne travaillant qu’avec des orchestres.
4. La culture geek, tu incarneras
Göransson est un bidouilleur, un touche à tout, un collectionneur qui aime autant le matos vintage que les derniers logiciels de synthèse sonore. Là aussi, son succès est lié au fait qu’il reflète parfaitement son époque : il participe de cette culture du geek, qui allie expertise technique et inspiration artistique. Une vidéo de promotion avait été diffusée par Disney au moment de la sortie du Mandalorien : on y voit le compositeur dans son home studio, et non pas dans un auditorium face à l’orchestre. Il interprète la BO en passant d’instrument en instrument, on y aperçoit des pédales de distorsion assez expérimentale, un synthétiseur Prophet Pro2, un énorme système modulaire, un mur rempli de guitares, un clavier Rhodes et bien sûr la fameuse flûte à bec basse qui donne au thème son parfum tribal, enivrant et exotique.
J’ai trouvé une interview où il explique qu’il a expérimenté pendant 7 mois dans son home studio pour aboutir à la BO et ensuite enregistrer avec l’orchestre. Il a essayé la flûte justement parce que c’était l’instrument le « moins star wars » qui soit, mais cette flûte a crée une connexion entre ses souvenirs d’enfance qu’il qualifie de « cool ». Il a ensuite travaillé le son de cette flûte avec différents effets et logiciels pour aboutir à une « flûte de l’espace ». La BO doit tout à cette modeste flûte, il y a quelque chose de provocateur et de génial à apposer une flûte en plastique à un des orchestres symphoniques les plus prestigieux au monde. C’est ça la culture geek de Göransson, il ose, il expérimente, il suit son instinct, il ne cloisonne pas ses idées à des attentes préconçues de la production. Le charme de la BO provient de ces textures sonores fantomatiques, de ces sons gorgés de distorsion. On trouve aussi de nombreux éléments rock dans cette œuvre : une basse hypnotique et statique, de la guitare acoustique, de la guitare fuzz, des toms de batterie. On a aussi dit que le thème du Mandalorien emprunte beaucoup du western, avec un sentiment de duel imminent. C’est certainement vrai. D’ailleurs Ennio Morricone aimait particulièrement introduire des instruments insolites dans ses partitions pour leur donner une touche exotique. On pense à la flûte à pan de « Il était une fois en Amérique» et bien sûr les soupirs spectraux de l’homme à l’harmonica dans « Il était une fois dans l’ouest ».