Ma reprise de Main Title, une version plus rock et modernisée que l’originale :
Sorti en 1981, New York 1997 a marqué tout une génération de cinéphiles. Ecrit, réalisé mais aussi composé par John Carpenter, ce film d’action sombre et amoral est un manifeste anarchiste qui matérialise les réflexions politiques du réalisateur américain sur son pays. L’histoire de sa bande originale, qui nous intéresse aujourd’hui, est l’occasion de vous montrer en quoi Carpenter n’est pas seulement un réalisateur insoumis et iconoclaste, mais aussi un compositeur qui n’obéit à aucune loi. Rendez-vous ensuite en deuxième partie pour écouter ma reprise du titre « Main Title » de la bande originale, suivi de l’analyse des pistes. Si vous êtes fan de cinéma et de musique de film, pensez à vous abonner pour recevoir tous les mois l’analyse et l’histoire d’une BO qui a marqué son époque.
Rebelle attitude 1 : critiquer la toute puissante Amérique
Nous sommes à la fin des années 70 aux Etats-Unis, une période difficile marquée par la hausse de la délinquance, le trafic de drogue, la corruption de la police, l’échec de la guerre du Vietnam et l’affaire Watergate, scandale politique qui mène à la démission du président Nixon. Autant d’événements qui motivent Carpenter dans l’imagination d’un New York apocalyptique. On y retrouve les ingrédients du succès du réalisateur moustachu : un scénario pouvant s’écrire sur un coin de nappe, une économie de dialogues et de moyens, des personnages pragmatiques, sans idéaux, portés par leur instinct de survie. D’un point de vue musical, ce qui est intéressant, c’est que la BO est en parfaite adéquation avec le film. Que ce soient le scénario lapidaire, l’amoralité des personnages, la critique des dérives autoritaires de l’Amérique, la mise en scène sans artifice, tout est réuni pour faire ici un film anti-hollywoodien. Et en 1981, quoi de plus rebelle musicalement pour un blockbuster que de proposer une partition électronique, sans orchestre, réalisée en home-studio par deux amis passionnés de synthétiseurs, loin d’être virtuoses et bannissant toute partition au profit de l’improvisation ?
Rebelle attitude 2 : composer un blockbuster chez
soi, entre gros geeks
Comme dans Halloween, qui marque le début du succès de Carpenter dans le genre de l’horreur, le réalisateur favorise ici les motifs répétitifs, les mélodies épurées, une cadence mécanique et imperturbable. Il nous plonge dans une atmosphère à couteau tiré, qui rappelle la tension des vieux westerns que Carpenter affectionne. Comme il l’explique, ses films indépendants ne sont pas financés par les gros studios. Ne pouvant avoir un orchestre, faute de budget et d’aptitude à l’écriture, il se tourne donc vers le synthétiseur à la fois pour avoir un « gros son » mais aussi « une solution bon marché ». Il demande l’aide d’Alan Howarth, le responsable des effets sonores dans la série Star Trek. Ce dernier prend en charge la réalisation technique, le matériel, l’enregistrement de la BO, tout en restant une force de proposition artistique. Avant de se mettre au travail, Carpenter demande à Howarth d’écouter The Police et Tangerine Dream, un groupe allemand de rock progressif et électronique, dans la mouvance du style Krautrock (Can, Kraftwerk, Amon Düül), on n’est donc très loin des références wagnérienne ou néoromantiques en vogue à Hollywood. Carpenter et Howarth composent ainsi une bande originale de 37 minutes, en improvisant, les yeux rivés sur la cassette du prémontage. Ils utilisent du matériel ultra pointu pour l’époque : un Prophet-5, plusieurs synthétiseurs ARP, un vocodeur Roland, une machine rythmique Linn Drum LM-1, quelques effets Eventide comme un delay DDL1745 ou l’harmonizer H949, le tout enregistré sur plusieurs machines à bandes : un 24 pistes Stephens Electronics 821A et un 8 piste Tascam 80. Un équipement électronique et une méthodologie en décalage total avec l’industrie hollywoodienne, totalement dominée par les grands orchestres. Pour rappel en 1981, les artistes phares de la science-fiction sont Jerry Goldmisth, compositeur de Alien et de Star Trek, la Planète des Singes et évidemment John Williams, compositeurs de Star-Wars et de Rencontre du Troisième Type.
Rebelle attitude 3 : pas de solfège, pas
d’orchestre, juste ses tripes
John Carpenter est un musicien instinctif, qui accepte parfaitement ses limites en tant que compositeur car au contraire il fait en une force : la simplicité harmonique, la limpidité froide de se mélodies est ce qui confère à ses œuvres musicales une si grande puissance cinématographique. Il compose la musique de Halloween en 3 jours, seul chez lui. Il réalise ainsi 15 BO parmi ses 18 films. Sa règle : produire un maximum d’effet avec un minimum de moyens, ce qui est une là aussi parfaitement anti-hollywoodien. Si son père, professeur de musique, tente de l’initier au violon et au piano, Carpenter préfèrera rester un bidouilleur, un amoureux de rock et d’exploration électronique. Musicalement, on retrouve aussi la passion de Carpenter pour le western. Si sa préférence scénaristique va du côté du Howard Hawks, musicalement c’est du côté western spaghetti et donc Ennio Morricone qu’il incline. S’il ne possède pas les aptitudes du maitre italien, on retrouve la même soif de motifs mélodiques hypnotiques, de rythmes constants et galopant et bien sûr la même désinvolture.
Rebelle attitude bonus : refuser une partition de Morricone
Fort du succès de New York 1997, il demandera d’ailleurs à Ennio Morricone de composer la musique de The Thing l’année suivante en 1982. Anecdote célèbre, il refuse les premières partitions trop orchestrales du compositeur italien et lui demande de s’inspirer de la BO de New York 1997. C’est l’occasion pour Morricone de manifester à son tour son génie et son anticonformisme : quand beaucoup de compositeurs hollywoodiens auraient refuser la tâche en se sentant offensés à l’écoute de la BO, Ennio range ses portées pour se tourner lui aussi vers des synthétiseurs et proposer une BO atmosphérique et électronique qui deviendra elle aussi culte.